15 décembre 2021

C.C., 21 octobre 2021, n°150/2021 – C.E., 15 décembre 2021, n°252.412 à 252.421 – décret du 17 juin 2021 modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires – concours organisé au terme de la première année – suspension du refus d’admission, inscription provisoire et questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle

Saga des étudiants en vétérinaires « reçus-collés » de l’année académique 2019-2020 : suite* (et pas encore fin)

*voy. actualité postée le 13 novembre 2020

Depuis l’année académique 2016-2017, le législateur décrétal francophone a instauré un mécanisme de concours en sciences vétérinaires, qui se déroule en fin de première année et dont la réussite conditionne l’accès à la suite du programme. Ce filtre académique est organisé par un décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires.

Lors de sa création, le dispositif mis en place par le décret du 13 juillet 2016 a été limité dans le temps. En effet, son article 12 disposait que « (l)e présent décret produit ses effets jusqu’à l’année académique 2019-2020 incluse. Il fera l’objet d’une évaluation, par le Gouvernement, au plus tard durant l’année académique 2019-2020 ».

Cependant, sans doute aux prises avec d’autres préoccupations, tant le Gouvernement (qui n’a pas procédé à l’évaluation prévue durant l’année académique 2019-2020) que le législateur ont perdu de vue cette échéance, de sorte que le décret du 13 juillet 2016 a cessé de produire ses effets en septembre 2020. Cela n’a pas échappé à une étudiante, qui avait obtenu les 60 crédits du programme de bloc 1 de médecine vétérinaire pendant l’année 2019-2020, mais n’avait pas été classée en ordre utile au concours organisé au terme de ladite année. Puisque cet obstacle à la suite du cursus avait disparu, celle-ci sollicita naturellement son admission en bloc 2 de médecine vétérinaire. L’université concernée refusa son admission, au motif que le cadre légal serait bientôt modifié pour prolonger les effets du décret du 13 juillet 2016. Quant au délégué du Gouvernement, également saisi par l’étudiante, il ne se prononçait pas et espérait sans doute que cette modification décrétale intervienne rapidement. L’étudiante dû par conséquent faire valoir son droit subjectif à l’inscription devant le juge des référés, qui enjoignit à l’université en question, sous peine d’astreinte, de l’inscrire provisoirement en bloc 2 de médecine vétérinaire, dans l’attente de la décision du délégué de Gouvernement.

Le 22 octobre 2020, soit le jour-même auquel le Président du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles ordonna l’inscription de cette étudiante, un décret modifiant le décret du 13 juillet 2016 précité était adopté par le parlement de la Communauté française. Ce décret prévoyait, avec entrée en vigueur rétroactive au 1er juillet 2020, que le décret du 13 juillet 2016 produira ses effets jusqu’à l’année académique 2020-2021. Fort de ce nouveau décret, le délégué du Gouvernement auprès de l’université en cause statua enfin sur le recours que l’étudiante avait formé contre son refus d’admission et il confirma ce refus.

L’étudiante introduisit dès lors un recours en extrême urgence au Conseil d’Etat contre la décision du délégué du Gouvernement, en alléguant l’inconstitutionnalité du décret du 22 octobre 2020 au regard du principe de sécurité juridique et de non-rétroactivité des lois, dès lors que celui-ci modifiait, après le début d’une année académique, les conditions d’accès à des études telles qu’elles étaient en vigueur au début de ladite année et, au surplus, avait pour effet d’influencer la procédure juridictionnelle entreprise par la requérante au judiciaire, concernant son inscription en bloc 2. Par un arrêt du 13 novembre 2020, la Haute juridiction administrative jugea cette argumentation sérieuse et, partant, suspendit l’exécution de l’acte attaqué et interrogea la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel sur la validité du décret du 22 octobre 2020 (C.E., 13 novembre 2020, n°248.905, Brugger).

Ces rétroactes, nécessaires à la compréhension de ce qui suit, a déjà fait l’objet d’une actualité postée le 13 novembre 2020 sur notre site.

Par un arrêt n° 82/2021 du 3 juin 2021, la Cour constitutionnelle, répondant par l’affirmative à la question préjudicielle posée par le Conseil d’État, a dit pour droit que : « […] Les articles 1er et 2 du décret de la Communauté française du 22 octobre 2020 modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires violent les articles 10, 11 et 24, §3, première phrase, de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la non-rétroactivité des lois, en ce qu’ils confèrent un effet rétroactif à la prolongation des effets de l’article 4 du décret de la Communauté française du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires au-delà de l’année académique 2019-2020 […] ». Un arrêt d’annulation n°150/2021 du 21 octobre 2021 de la Cour constitutionnelle épure définitivement l’ordonnancement juridique de ces dispositions.

Il en résulte que les étudiants « reçus-collés » de l’année académique 2019-2020 – à savoir ceux qui avaient réussi au moins 45 crédits sur 60 du bloc 1 à l’issue de cette année (« reçus »), mais n’avaient pas été classés en ordre utile au concours organisé en juin 2020 (« collés ») – n’étaient en réalité soumis à aucun filtre académique pour s’inscrire au bloc 2 pendant l’année 2020-2021 ; en effet, s’ils ont, dans les faits, été empêchés de s’inscrire, c’est en raison d’un décret du 22 octobre 2020 dont l’inconstitutionnalité a été établie et qui a été anéanti avec effet rétroactif.

Ces étudiants pouvaient-ils dès lors, après avoir subi la perte d’une année académique, solliciter leur inscription en bloc 2 de médecine vétérinaire pour cette année 2021-2022 ? C’était sans compter sur l’adoption, en date du 17 juin 2021, d’un nouveau décret modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires. L’article 9 de ce décret modificatif abroge la deuxième phrase de l’article 12 du décret du 13 juillet 2016 précité, laquelle phrase avait pour objet de limiter les effets du décret dans le temps, jusqu’à l’année académique 2019-2020 incluse. En d’autres termes, ce décret prolonge, cette fois sans limite de temps, l’obligation pour tous les étudiants de bloc 1 en médecine vétérinaire d’être porteurs d’une attestation d’accès à la suite du programme du cycle pour pouvoir s’inscrire en bloc 2, et ce, dès la rentrée académique 2021-2022. En application de ce décret du 17 juin 2021, les étudiants « reçus-collés » de l’année académique 2019-2020, qui ont tenté, à l’entame de l’année 2021-2022, de s’inscrire en poursuite d’études, se sont vu opposer des décisions de refus d’admission, d’abord par l’université, ensuite par le commissaire ou délégué du Gouvernement, saisi sur recours, conformément à l’article 95, §1, al 2 du décret « paysage ».

Une dizaine de ces étudiants « reçus-collés » ont querellé cette dernière décision devant le Conseil d’Etat au bénéfice de l’extrême urgence. Tout comme l’année précédente, c’est la constitutionnalité du filtre académique instauré par le législateur qui fut directement mise en cause, cette fois au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, ainsi que du droit d’accès aux études supérieures.

En effet, il fut observé que le décret modificatif du 17 juin 2021 traitait de la même manière deux catégories différentes à savoir, d’une part, les étudiants « reçus-collés » de l’année académique 2019-2020 qui, eux seuls, n’étaient soumis à aucun filtre lors de l’année académique 2020-2021 – en raison de son annulation par la Cour constitutionnelle – et, d’autre part, tous les autres étudiants qui, depuis l’année académique 2016-2017 étaient soumis à l’obligation d’obtenir au terme de la première année une attestation d’accès à la suite du programme du cycle, et ce, sans que les travaux préparatoires ne fassent part d’aucune justification. En outre, il fut soulevé que l’instauration d’un filtre académique pour des étudiants qui, l’année précédente, n’en étaient soumis à aucun, se devait de respecter les conditions auxquelles doit satisfaire toute restriction au droit d’accès à l’enseignement supérieur, et notamment celle de respecter l’obligation de standstill accrochée à l’article 13, §2, c), du PIDESC.

Par des arrêts du 15 décembre 2021, la Haute juridiction administrative a jugé que cette critique de constitutionnalité était sérieuse et, dès lors, a posé à la Cour constitutionnelle les deux questions préjudicielles sollicitées par les étudiants ; dans l’attente de la réponse de la Cour, le Conseil d’Etat a suspendu les refus d’admission, ce qui a permis aux étudiants-requérants de s’inscrire provisoirement en bloc 2 du premier cycle de médecine vétérinaire pour la suite de cette année académique 2021-2022.

 

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