30 mars 2023

C.C. n° 57/2023 du 30 mars 2023 – L’exclusion de toute possibilité de modération du précompte immobilier dû pour immeuble à destination commerciale, en cas d’improductivité ou d’inoccupation indépendante de la volonté d’un contribuable, est validée par la Cour constitutionnelle

  1. Par un arrêt n° 57/2023 du 30 mars 2023, rendu sur question préjudicielle, la Cour constitutionnelle a jugé que l’exclusion de toute possibilité de modération du précompte immobilier en cas d’improductivité ou d’inoccupation indépendante de la volonté du contribuable, ou d’un bien immeuble à destination commerciale, résultant de l’article 257 du CIR 1992, tel qu’il a été modifié par l’article 27 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la réforme fiscale », ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Constitution et avec l’article 1er du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme.

  1. Dans le cadre institutionnel belge, le précompte immobilier est un impôt régional. Les recettes liées à cet impôt financent le budget des Régions. Les Régions sont compétentes pour modifier le taux d’imposition et les exonérations du précompte immobilier, dès lors que sa base d’imposition – le revenu cadastral – continue à relever de la compétence de l’autorité fédérale. Le service de cet impôt, pendant une période encore assuré par l’État fédéral, l’est actuellement par chacune des trois Régions.

  1. En Région de Bruxelles-Capitales, une ordonnance du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la réforme fiscale » a abrogé l’article 257, 4°, de CIR 1992, avec effet à partir de l’exercice d’imposition 2017. Il résulte de cette abrogation « que toute possibilité d’obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité est désormais exclue en Région de Bruxelles-Capitale » (point B.5.1. de l’arrêt).

  1. Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 décembre 2016, la remise ou la modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité étaient régies par l’ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier. Dans le régime fixé par cette ordonnance, certaines catégories de propriétaires étaient déjà exclues du bénéfice de la remise ou de la modération du précompte immobilier pour inoccupation. Il s’agissait notamment « des titulaires d’un droit réel sur les habitations salubres, des titulaires d’un droit réel sur des habitations insalubres qui ne les rénovaient pas, et des titulaires d’un droit réel sur les immeubles non affectés à l’habitation mais à d’autres usages, comme (…) les biens immeubles à usage commercial » (point B.4. de l’arrêt). Par un arrêt 187/2002 du 19 décembre 2002, la Cour constitutionnelle avait déjà jugé que l’exclusion des immeubles affectés à des fins autres que le logement de la remise ou de la modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité, prévue par l’ordonnance du 23 juillet 1992, « pouvait être considérée comme raisonnablement justifiée au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, et que, partant, elle ne produisait pas des effets disproportionnés pour les contribuables » (point B.10. de l’arrêt).

  1. Une société propriétaire d’un immeuble sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, et y exploitant un établissement hôtelier, avait introduit devant l’administration fiscale régionale une réclamation contre des cotisations au précompte immobilier pour l’exercice d’imposition 2020. Le redevable entendait obtenir une modération proportionnelle du précompte immobilier compte tenu de l’improductivité involontaire de l’hôtel en 2020 en raison de la pandémie de Covid 19. Cette réclamation a été rejetée au motif que dans le régime prévu par l’ordonnance du 12 décembre 2016, une telle modération ne pouvait être accordée. Le redevable a ensuite formé un recours devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, qui par un jugement du 18 mars 2022 a saisi la Cour constitutionnelle par la voie préjudicielle. La Cour constitutionnelle a ainsi été interrogée sur la constitutionnalité de l’article 257 du CIR 1992, tel que modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 12 décembre 2016 en ce que cette disposition ne prévoit pas « la moindre possibilité d’obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité d’un immeuble à usage commercial » (point B.5.1. de l’arrêt). La question de constitutionnalité a été posée au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Constitution et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.

  1. Par son arrêt 57/2023 du 30 mars 2023, la Cour constitutionnelle a jugé que l’article 257 du CIR 1992 « avant (l)’article du CIR 1992 tel qu’il a été modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 12 décembre 2016, est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Constitution et avec l’article 1er du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme » (point B.12. de l’arrêt).

  1. Pour arriver à cette conclusion, l’arrêt de la Cour constitutionnelle se fonde sur les motifs suivants.

7.1. La Cour commence par préciser que la question préjudicielle, dont l’objet était l’article 27 de l’ordonnance du 12 décembre 2016, est bien recevable, et cela même si l’ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier excluait déjà précédemment les biens immeubles à usage commercial de la possibilité d’obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité. L’arrêt souligne à cet égard que depuis l’exercice d’imposition 2017, l’exclusion des biens immeubles à usage commercial ne résulte plus de l’article 2bis de l’ordonnance du 23 juillet 1992, mais de l’article 27 de l’ordonnance du 12 décembre 2016, en ce qu’il a modifié l’article 257 du CIR 1992.

7.2. Examinant ensuite le libellé de la question préjudicielle, et la portée qu’il faut lui donner, l’arrêt précise qu’en l’espèce, la Cour précise qu’elle est chargée d’examiner si l’article 257 du CIR 1992, tel que modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 12 décembre 2016, « limite de manière discriminatoire le droit au respect des biens » (point B.6.).

7.3. L’arrêt souligne que l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 16 de la Constitution ont une portée analogue, les garanties offertes par ces deux dispositions formant un ensemble indissociable. L’article 1er au Premier Protocole additionnel offre notamment une protection contre toute ingérence dans le droit au respect des biens, étant précisé qu’un impôt ou une autre contribution contribuent en principe une telle ingérence. Il est rappelé que cette disposition conventionnelle prévoit expressément que la protection du droit de propriété ne porte pas atteinte au droit des Etats « de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ». Une ingérence dans le droit au respect des biens n’est pas exclue, mais elle doit être proportionnée. En se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’arrêt précise que même « si le législateur fiscal dispose d’une large marge d’appréciation, un impôt viole dès lors ce droit s’il fait peser sur le contribuable une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière » (point B.7.).

7.4. Le législateur ordonnanciel est compétent pour établir la remise ou la modération de l’impôt que constitue le précompte immobilier. Il dispose à cet égard d’une large marge d’appréciation, dès lors que les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique. « Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de la fixation des ressources relèvent de la compétence du législateur ordonnanciel. La Cour ne peut sanctionner de tels choix politiques ainsi que les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou qu’ils ont déraisonnables » (point B.8.).

7.5. Tenant compte des spécificités de l’impôt en cause – le précompte immobilier est calculé sur une base forfaitaire, étant un pourcentage du revenu cadastral du bien concerné –, et du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur pour modifier les remises ou modérations du précompte immobilier, la Cour fait valoir que le législateur ordonnanciel a « raisonnablement pu considérer que cet impôt doit rester dû, même si, en raison d’une inoccupation ou d’une improductivité, indépendante ou non de la volonté du contribuable, le bien immeuble n’a pas produit de revenus effectifs » (B.9). L’arrêt se réfère à cet égard à l’un des objectifs généraux poursuivis par la réforme fiscale réalisée par l’ordonnance du 22 décembre 2016, et rappelée dans les travaux préparatoires, selon lequel il s’agissait d’assurer « un glissement de la fiscalité sur le travail vers la fiscalité foncière ».

7.6. L’arrêt se réfère également au précédent arrêt de la Cour constitutionnelle n° 187/2002 du 19 décembre 2002, déjà évoqué ci-dessus, dans lequel il avait été jugé que l’exclusion des immeubles affectés à des fins autres que le logement de la remise ou de la modération du précompte immobilier en cas d’inoccupation ou d’improductivité pouvait être considérée comme raisonnablement justifiée au regard des principes d’égalité et de non-discrimination.

7.7. L’arrêt répond enfin à un des arguments du redevable qui avait agi devant le juge a quo, et qui faisait valoir qu’il souhaitait obtenir une modération du précompte immobilier parce que, pendant une certaine période, il n’avait pu, en raison de la pandémie de covid-19, recevoir que beaucoup moins voire pas du tout de clients dans l’hôtel qu’il exploite.  L’arrêt souligne à cet égard que « tant au niveau fédéral qu’au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, différentes mesures ont été prises pour atténuer les effets de cette pandémie sur les entreprises, y compris dans le secteur horeca », et notamment une exonération générale de la taxe régionale sur les établissements d’hébergement touristique pour la période allant du 1er janvier 2020 au 30 juin 2022.

Télécharger le PDF