19 mars 2024

C.E., n° 259199 du 19 mars 2024 – recours gracieux de tutelle – interruption du délai de recours devant le Conseil d’État – compétence de l’autorité de tutelle – tutelle ordinaire et tutelle spécifique

À l’occasion d’une discussion sur la recevabilité d’un recours, le Conseil d’État précise par un arrêt intéressant la répartition des compétences en matière de tutelle.

Suivant la jurisprudence du Conseil d’État, le délai imparti pour former un recours en annulation est interrompu en faveur de celui qui introduit une réclamation auprès de l’autorité de tutelle habilitée à exercer la tutelle générale, à condition que cette réclamation soit introduite avant l’expiration du délai de recours et du délai dont dispose l’autorité de tutelle pour exercer ses pouvoirs de suspension et d’annulation.

Dans l’espèce commentée, la partie requérante était agent d’une province, mais elle était affectée dans un établissement d’enseignement et elle contestait une décision de désignation au sein de cet établissement.

Avant d’introduire un recours au Conseil d’État, elle avait saisi l’autorité de tutelle régionale d’un recours gracieux visant à obtenir l’annulation de l’acte attaqué.

Dans le cadre de l’examen du recours devant le Conseil d’État, la partie adverse soulevait une exception d’irrecevabilité ratione temporis. Elle soutenait que le Gouvernement wallon n’était pas compétent pour exercer des pouvoirs de tutelle, s’agissant d’une décision de désignation d’un membre du personnel de l’enseignement officiel subventionné, et, partant, que le délai de recours au Conseil d’État n’avait pas été interrompu par le recours adressé à cette autorité.

Selon l’article 7, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les Régions sont compétentes en ce qui concerne l’organisation et l’exercice de la tutelle administrative sur les provinces. Cette compétence ne porte cependant pas préjudice à la compétence de l’autorité fédérale et des Communautés d’organiser et d’exercer elles-mêmes une tutelle administrative spécifique dans les matières qui relèvent de leur compétence.

En se référant à plusieurs avis de la section de législation du Conseil d’État, le Conseil d’État énonce que « l’organisation par la loi ou le décret d’une tutelle spécifique relativement à une matière déterminée et s’exerçant, par définition, sur des actes déterminés exclut que la Région organise et exerce le contrôle couvert par la tutelle spécifique. La Région reste toutefois compétente pour organiser et exercer la tutelle ordinaire d’une part sur les actes non expressément visés par la tutelle spécifique, et d’autre part, pour contrôler que les actes soumis à cette tutelle spécifique ne sont pas contraires à d’autres lois ou à d’autres aspects de l’intérêt général que ceux pour lesquels la tutelle spécifique a été instituée ».

En se référant à l’arrêt n° 38/1987 de la Cour constitutionnelle, le Conseil d’État ajoute que lorsque le législateur communautaire a le pouvoir d’instituer une tutelle spécifique, encore n’exerce-t-il valablement cette compétence que si le décret « organise » cette tutelle, en déterminant les actes sur lesquels porte la tutelle, le procédé de tutelle, et les éléments essentiels de la procédure.

Dans le cas d’espèce commenté, la partie adverse n’identifiait aucun décret de la Communauté française qui organisait une tutelle spécifique. Il s’en déduisait que la Région wallonne était bien compétente pour statuer sur la réclamation qui lui avait été adressée et, partant, que le délai de recours au Conseil d’État avait été valablement interrompu.

Il y a donc lieu de retenir nous semble-t-il que la tutelle spécifique exclut la tutelle ordinaire, mais dans la stricte mesure où la tutelle spécifique est effectivement organisée par la collectivité compétente.

Télécharger le PDF